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Mascottes sportives : les clubs peuvent-ils devenir les nouveaux champions de la biodiversité ?


Auteurs

Ugo Arbieu - Chercheur postdoctoral, Université Paris-Saclay

Franck Courchamp - Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay

Déclaration d’intérêts

Ugo Arbieu est fondateur de The Wild League, un projet international visant à promouvoir l'intégration des enjeux de la protection de la biodiversité dans les organisations sportives professionnelles

Franck Courchamp ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Partenaires

Université Paris-Saclay apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation FR.


Du lion de l’Olympique lyonnais aux ours, tigres et autres aiglons qui ornent les logos des clubs sportifs de toutes disciplines du monde entier, les animaux sauvages sont au cœur de l’imaginaire sportif. Pourtant, dans la nature, beaucoup de ces espèces déclinent. Et si cet engouement se transformait en levier pour mieux défendre la biodiversité ? La littérature scientifique récente propose plusieurs pistes pour faire des clubs de véritables champions de la biodiversité.

Quand on se promène aux abords du Groupama Stadium à Lyon (Rhône), on ne peut les ignorer. Quatre lions majestueux aux couleurs de l’Olympique lyonnais trônent devant le stade, symboles du rayonnement d’un club qui dominait le championnat de France de football au début des années 2000.

Le lion est présent partout dans l’image de marque du club : sur le logo, sur les réseaux, et même sur les pectoraux de quelques supporters qui vivent et respirent pour leur équipe. Ce sont ceux qui se lèvent comme un seul homme quand Lyou, la mascotte, parcourt les travées du stade à chaque but marqué par l’équipe. Pourtant, s’il rugit dans le stade lyonnais, dans la savane, le lion s’éteint.

Lors de la neuvième journée de Ligue 1 (dont les matchs se sont déroulés du 24 au 26 octobre 2025), il y avait deux fois plus de monde dans le stade pour le match Lyon-Strasbourg (soit un peu plus de 49 000 spectateurs) que de lions à l’état sauvage sur la planète (environ 25 000). Les populations de lions en Afrique et en Inde ont chuté de 25 % entre 2006 et 2018, comme bien d’autres espèces sur la planète, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).


Un des lions qui trônent devant le Groupama Stadium à Lyon (Rhône). Zakarie Faibis, CC BY-SA

C’est un curieux paradoxe : alors que le secteur du sport est en plein essor, capitalisant souvent sur la symbolique animale pour développer marques et logos et pour fédérer les foules autour de valeurs partagées, ces mêmes espèces animales font face à de nombreuses menaces dans la nature, sans que les fans ou les clubs ne le sachent vraiment.

Ce paradoxe entre l’omniprésence des représentations animales dans le sport et la crise globale de la biodiversité a été le point de départ d’une étude publiée dans la revue BioScience. Celle-ci a quantifié la diversité des espèces représentées dans les plus grands clubs de sport collectif dans chaque région du monde, d’une part, et évalué leur statut de conservation, d’autre part. De quoi dégager au passage des tendances entre régions du globe et sports collectifs (féminins et masculins).

L’enjeu ? Explorer les passerelles possibles entre sport professionnel et protection de la biodiversité. En effet, le sport réunit des millions de passionnés, tandis que l’identité des clubs s’appuie sur des espèces à la fois charismatiques et le plus souvent menacées. À la clé, une opportunité unique de promouvoir la conservation de la biodiversité dans un cadre positif, fédérateur et valorisant.

Le secteur du sport a récemment pris conscience des enjeux climatiques, de par ce qu’ils représentent comme risque pour la pratique sportive, mais aussi par l’impact que les événements sportifs ont sur le climat, mais la biodiversité n’a pas encore reçu la même attention.

La diversité des espèces représentées dans le sport collectif

Ces travaux ont porté sur une sélection de 43 pays sur les cinq grands continents. Ils mettent en lumière de nombreux enseignements, au premier rang desquels l’importance et la grande quantité d’animaux sauvages dans les emblèmes sportifs. Ainsi, 25 % des organisations sportives professionnelles utilisent un animal sauvage soit dans leur nom ou surnom, soit dans leur logo.


Les ours (ici, un ours polaire pour l’équipe de hockey d’Orlando, aux États-Unis) sont parmi les animaux les plus utilisés en guise de mascotte par les sports collectifs répertoriés dans le cadre de l’étude. Vector Portal/Creative CommonsCC BY

Cela représente plus de 700 équipes masculines et féminines, dans chacun des dix sports collectifs pris en compte dans l'étude : football, basketball, football américain, baseball, rugby à XV et à XIII, volleyball, handball, cricket et hockey sur glace. Sans surprise, les espèces les plus représentées sont, dans cet ordre, les lions (Panthera leo), les tigres (Panthera tigris), les loups (Canis lupus), les léopards (Panthera pardus) et les ours bruns (Ursus arctos).

Si les grands mammifères prennent la part du lion sur ce podium, il existe en réalité une formidable diversité taxonomique représentée, avec plus de 160 types d’animaux différents. Ainsi, les calamars, les crabes, les grenouilles ou les frelons côtoient les crocodiles, les cobras et les pélicans, dans un bestiaire sportif riche et révélateur de contextes socio-écologiques très spécifiques. Nous les avons recensés dans une carte interactive accessible en ligne.

Une cartographie interactive permet de filtrer et de visualiser les différentes équipes sportives analysées dans le cadre de l’étude. Ugo Arbieu, cliquer ici pour accéder à la carte interactive

On associe plus facilement cette imagerie animale aux grandes franchises états-uniennes de football (NFL), de basket-ball (NBA) ou de hockey sur glace (NHL), avec des clubs comme les Miami Dolphins (NFL), les Memphis Grizzlies (NBA) ou les Pittsburgh Penguins (NHL).


Les symboles animaliers sont très variés dans les équipes masculines et féminines de volley-ball de dix pays européens : mammifères, oiseaux, insectes et reptiles sont présents sur les étendards de plus de 30 équipes. Fourni par l'auteur

Or, la France aussi possède une faune diverse, avec plus de 20 espèces représentées dans plus de 45 clubs professionnels : les aiglons de l’OGC Nice (football), le loup du LOU Rugby (rugby), ou les lionnes du Paris 92 (handball) en sont de beaux exemples. C’est également le cas pour le volley-ball, comme le montre l’illustration ci-dessus.

Des symboles culturels, esthétiques ou encore identitaires

Les emblèmes des clubs font souvent écho à l’héritage culturel de leur région. L’hermine, emblème des ducs de Bretagne, est ainsi utilisée depuis le XIVe siècle pour véhiculer l’identité culturelle bretonne. On la retrouve dans plusieurs clubs sportifs de la région, dont le Stade rennais FC, le Rugby club Vannes ou le Nantes Basket Hermine.


Logo de l’équipe de rugby Lyon olympique universitaire. LOU Rugby

Les symboles animaliers permettent aussi de communiquer sur les valeurs et spécificités du club, telles que la cohésion et la solidarité, à l’instar du groupe de supporters du LOU Rugby, qui se surnomme « la meute ».

Ces surnoms permettent également de créer un narratif autour de l’esthétique des couleurs de l’équipe, comme le font les « zèbres », surnom donné à l’équipe de la Juventus FC de Turin (Italie) qui joue traditionnellement en blanc rayé de noir.

Enfin, les emblèmes faisant directement référence à l’environnement local sont fréquents, tels les Parramatta Eels (qui doit son nom à celui du quartier de Sydney où joue l’équipe et qui signifie « lieu où vivent les anguilles », en dharug, langue aborigène), ou les « Brûleurs de loups » de Grenoble (du nom d’une pratique en Dauphiné qui consistait à faire de grands feux pour éloigner les prédateurs et gagner des terres agricoles sur les forêts).

Des clubs au service de la vie sauvage ?

Le secteur du sport a récemment pris conscience des enjeux climatiques, tant ceux liés à la pratique sportive qu’aux événéments sportifs. La biodiversité n’a pas encore reçu la même attention. Or, notre étude montre que 27 % des espèces animales utilisées dans ces identités sportives font face à des risques d’extinction à plus ou moins court terme. Cela concerne 59 % des équipes professionnelles, soit une vaste majorité.

Six espèces, en particulier, sont en danger critique d’extinction selon l’UICN : le rhinocéros noir (Diceros bicornis), la baleine bleue (Balænoptera musculus), l’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana), l’éléphant d’Asie (Elephas maximus), le tigre et le carouge (Agelaius xanthomus) de Porto Rico. Lions et léopards, deux des espèces les plus souvent représentées par les clubs sportifs, ont un statut d’espèces vulnérables.

Au total, 64 % des équipes ont un emblème animal dont la population est en déclin dans la nature. Et 18 équipes ont même pour emblème une espèce… dont on ne connaît tout simplement pas la dynamique d’évolution des populations. Si vous pensiez que cela concerne des espèces inconnues, détrompez-vous : l’ours polaire (Ursus maritimus), l’orque (Orcinus orca) ou encore le chat forestier (Felis silvestris) font partie de ces espèces populaires, mais très mal connues au plan démographique.

Dans ces conditions, le sport peut-il aider à promouvoir la conservation de la biodiversité dans un cadre fédérateur et valorisant ? De fait, les clubs et les athlètes emblématiques, dont les identités s’appuient sur des espèces souvent charismatiques mais menacées, rassemblent des millions de passionnés.


Modèle tripartite qui montre comment peuvent s’aligner les intérêts des biologistes de la conservation, des organisations sportives et des communautés de supporters. L’idée est de créer des synergies positives permettant des changements transformateurs en faveur de la biodiversité grâce au sport. Fourni par l'auteur

Une autre étude publiée récemment présente un modèle qui alignerait les intérêts des clubs, de leurs partenaires commerciaux, de leurs communautés de supporters et des protecteurs de la biodiversité autour de la figure centrale des emblèmes sportifs animaliers.

Jouer collectif pour protéger la biodiversité

Le projet The Wild League, dans lequel s’inscrit la nouvelle publication scientifique, vise à mettre ce modèle en application avec l’appui des clubs (professionnels ou non) et de leurs communautés, afin d’impliquer le plus grand nombre d’acteurs (équipes, partenaires, supporters) pour soutenir la recherche en écologie et la préservation de la biodiversité.

Ces engagements sont gagnant-gagnant : pour les clubs, c’est l’occasion de toucher de nouveaux publics et de mobiliser les supporters autour de valeurs fortes. Les sponsors, eux, peuvent associer leurs marques à une cause universelle. En passant à l’échelle, une ligue professionnelle, si elle se mobilisait à travers toutes ses équipes, pourrait ainsi jouer un rôle clé pour sensibiliser à la biodiversité.


Les emblèmes de la ligue de hockey allemande DEL font quasiment tous référence à des animaux. Deutsche Eishockey Liga/X.com

Par exemple, la première division de hockey sur glace allemand (Deutsche Eishockey Liga) comprend 15 équipes, dont 13 présentent des emblèmes très charismatiques. Chaque semaine, les panthères affrontent les ours polaires, les pingouins ferraillent contre les tigres et les requins défient les grizzlis. Autant d’occasions pour mieux faire connaître la richesse du vivant sur la Terre.

La diversité des emblèmes animaliers des clubs sportifs permettrait d’attirer l’attention sur la diversité d’espèces pour un animal donné. Par exemple, certains termes comme les « crabes », les « chauve-souris » ou les « abeilles » cachent en réalité une diversité taxonomique immense. Il existe plus de 1 400 espèces de crabes d’eau douceautant d’espèces de chauve-souris (et qui représentent une espèce sur cinq parmi les mammifères) et plus de 20 000 espèces d’abeilles dans le monde.


Logo de l’équipe de basket d’Auckland (Nouvelle-Zélande), qui montre un tuatara. Auckland Tuatara

Ces mascottes peuvent également mettre en lumière des espèces locales. L’équipe de basket-ball des Auckland Tuatara, par exemple, est la seule équipe à présenter comme emblème le tuatara (Sphenodon punctatus), ce reptile endémique à la Nouvelle-Zélande (qui n'existe que dans ce pays). Ces associations uniques entre une équipe et une espèce sont une occasion rêvée de développer un sens de responsabilité de l’un envers l’autre.

Le sport est avant tout une industrie du divertissement qui propose des expériences émotionnelles fondées sur des valeurs fortes. Les emblèmes animaliers des clubs doivent permettre de mettre ces émotions au service de la nature et d’engager les communautés sportives pour leur protection et pour la préservation de la biodiversité au sens large. C’est à cette condition qu’on évitera que le rugissement du lion, comme cri de ralliement sportif, ne devienne qu’un lointain souvenir et qu’on redonnera un vrai sens symbolique à ces statues si fièrement érigées devant nos stades.

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